mercredi 4 janvier 2012

charlevoix

la chambre en question
N'avoir que le temps de dire:
J'ai trouvé l'endroit où mourir,
J'ai vu le lieux du futur de mes racines,
J'ai vu mes eaux fondatrices de mes tantôt.

J'y ai mis le pied le temps d'un soupir:
Sur le chemin, des arbres aux épines lourdes, gorgées,
Des épinettes indécentes des neige.
J'ai même frôlé le cul d'un orignial; ses yeux noirs ronds comme les miens; nous nous sommes reflétés des découvrances à n'en plus finir, le temps d'un crissement de pneu; puis la route, la route qui me mène et je me laisse mener.

Maison jaune, vieux phare, maison blanche, bonhomme de slush, chapelle saupoudrée, fermée, église aux murs plaqués, à peine ouverte. Puis, enfin, le chez moi temporaire: l'habitat bleu dans le bleu de ces fameux yeux bleus. Il n'y est pas, ce regard dont mon coeur est amoureux. Il n'y est jamais.
J'entre pour la première fois dans ce chez moi qui craque et qui scille au vent. Une chambre me choisit. On a toujours été nôtre. Le hublot et moi on s'regarde. On se reflète nos retrouvailles: le fleuve est violet; vous m'attendiez.

Et toi, l'Île qui me fait de l'oeil. Toi, qui de ton bleu n'y es jamais plus que l'autre mystère, qu'as-tu qui mérite d'être tant attendu? Qu'avez vous, mes amours inconnus, qui vaut la douleur du temps de l'éloignement ? Je le saurai. Un jour, nous cesserons de nous ignorer.

D'ici là, je vois la mère de ma mère sangloter à grandes secousses, je vois mon père se fatiguer, je vois mon frère grandir et s'aggravir. Ce sont des paysages mouvants que l'Artisan m'offre. Des vivances qui s'émeuvent et me mouvent. Elles sont en eux, les marées les plus surprenantes. Et je suis aimée d'eux, je suis aimée de cette Vie qui les anime et qui m'habite par leurs rires.

Lorsqu'ici je m'assoupis, je suis envahie de vies qui ne sont pas miennes. J'en ai chaud, c'est si beau que j'en tremble. J'ai la fièvre du sommeil. C'est sûrement la chambre; son plafond incliné m'envoie des lattes de rêves qu'il ne faut pas rêver. Du placard de cèdre émane de ces souhaits qui font mal à espérer. Et je me fais réveiller. Un enfant est debout près de mon lit, le visage penché il me regarde dormir douloureusement. J'ouvre mes bras, il se glisse dans mes draps et ce sont les minutes des plus précieuses de ma vie. La vraie vie. Il s'endort contre moi et me serre si fort que mon sang peine. Sa respiration se saccade. Des larmes de bonheur ruisselent dans ma pénombre et c'est le regard vers le plafond incliné que je remercie le Seigneur de tout mon coeur. Merci mon Dieu.

Les matins arrivent. La toux des autres à travers les murs, le bacon de mon père, la quiche de ma tante, le pain doré de ma cousine; toutes les effluves se battent contre le fleuve et ma fixation. Nue devant ma fenêtre grande ouverte, j'espère imprégner ce parfum qui m'enlève tous les mots du corps. Que dans chacune de mes pores s'infiltre une baie ! Que dans chacune de mes rides à venir se cache un marsouin ! Que dans chacun de mes cheveux on retrouve l'algue de nos amours ! Que dans chacun de mes mouvements on décèle du nordet ! Que de ma nuque on puisse admirer les voiles gonflées des marins solitaires ! Que mes courbes deviennent les flancs violents des monts protecteurs ! Que mon souffle chante la même langue que la vague contre la vague ! Que mes fossettes ruissellent de rire et nourrissent tous les oiseaux du Nord ! Que sous mes talons se cachent les glaces parfaites de l'hiver cruel !... Que je devienne ce qu'Il a fait de mieux ! 

J'ai de ces élans fondateurs, de ceux qui défrichent des Québecs à la mitaine. Je m'enlace à chacune des vieilles granges et tous les noms de rues me retiennent. C'est ici que je veux être. C'est ici que je me dois d'exister. 

Il a bien fait de ne pas venir, celui que j'aime. Car nous ne serions jamais repartis. À l'heure qu'il est on déboulerait probablement les Éboulements à pleine dents vers cedont je ne peux définitivement plus me passer. Il viendra m'y rejoindre un jour, dans un songe interdit, si je ne suis pas choisie. Il viendra m'y découvrir un jour. Tous les courants et tous ces airs de lui que je ne sais pas, ils me seront hérons connus. Et il viendra me regarder être, l'âme à grande allure, ce que je suis depuis les origines. Sans échouages ni éclaboussures, seulement mon souffle en vague et son écho en plénitude.  

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